Le tabagisme passif

par Céline Fournier

Le tabagisme passif est l’exposition involontaire à un air ambiant contenant des substances toxiques résultant de la combustion des produits du tabac. C’est aussi l’exposition du fœtus in utero à du sang maternel contaminé par ces mêmes produits. Il tue principalement dans les pays en voie de développement, dont un fort pourcentage d’enfants de moins de 5 ans.

Selon l’OMS,

  • Le tabac tue jusqu’à la moitié de ceux qui n’arrêtent pas.
  • Le tabac fait plus de 8 millions de morts chaque année, dont une estimation de 1,3 million de non-fumeurs qui sont involontairement exposés à la fumée du tabac (4).
  • Sur 1,3 milliard de fumeurs dans le monde, 80 % environ vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.
  • En 2020, 22,3 % de la population mondiale consommait du tabac : 36,7 % des hommes et 7,8 % des femmes.

Un des premiers articles scientifiques évoquant les risques du tabagisme passif a été publié en Allemagne en 1928, mais sa nocivité était déjà connue et le 17ème siècle avait été marqué par des mesures de rétorsion très sévères envers les fumeurs, comme la décapitation de Sir Walter Raleigh qui faisait tousser Jacques 1er dans sa cour d’Angleterre et l’ablation des lèvres des fumeurs par le shah de Perse qui ne supportait pas la fumée.

Aux USA, le Surgeon Général (ministre de la santé) publie dès 1972 un rapport soulevant l’hypothèse de la responsabilité de la fumée environnementale sur la santé de la population. L’industrie du tabac va tout faire pour saper la crédibilité des articles scientifiques sur le sujet, critiquant les méthodes d’investigation, rémunérant des scientifiques reconnus pour jeter le discrédit sur les études publiées, « créant le doute sur les risques pour la santé sans les nier explicitement » (mémo de l’industrie du tabac de 1972) et cachant les résultats de travaux qu’elle avait financés mais qui n’allaient pas dans le sens demandé. C’est ainsi que grâce à la publication des archives internes de l’industrie du tabac demandée par la justice américaine en 1998, trois chercheurs, P. Diethelm, J.C. Rielle et M. McKee, ont découvert parmi 6 millions de ces documents que les responsables de Philip Morris étaient au courant des dangers du tabagisme passif dès 1982. (The Lancet, nov. 2004).

La fumée de cigarette

La fumée émise lors de la combustion de tout produit du tabac se décompose en 3 courants : le courant primaire que le fumeur inhale en tirant sur sa cigarette, sa pipe ou sa chicha, le courant secondaire qui se répand dans l’air ambiant entre les bouffées et le courant tertiaire, exhalé par le fumeur (cf. tableau récapitulatif des fumées et courants de la fumée).

Courant primaireLa fumée inhalée par le fumeur quand il tire sur sa cigarette
Courant secondaireLa fumée issue de la combustion de la cigarette entre les bouffées, il est plus toxique que le courant primaire.
Courant tertiaireLa fumée rejetée par le fumeur, moins toxique car débarrassée d’une partie de ses composants retenus dans le corps du fumeur.
Fumée secondaire ou environnementale ou de seconde mainL’addition des courants secondaire et tertiaire. Responsable du tabagisme passif
Fumée tertiaire  ou de troisième main.Produite par le dépôt sur les surfaces des composants toxiques de la fumée, dont les particules fines. Responsable du tabagisme tertiaire ou ultra-passif.
Tableau récapitulatif des courants et fumées


la fumée de tabac, un cocktaile chimique
Composition de la cigarette

La cigarette qui représente 80 % des ventes en France est le tabac combustible le mieux étudié. Sa fumée est un aérosol contenant au moins 4 000 composés chimiques, et vraisemblablement 7 000. Cet aérosol est constitué d’un mélange de 85  à 90 % de gaz et 10 à 15 % de particules diluées dans de l’eau. C’est le polluant le plus dense en particules.
La phase gazeuse, 85 à 90 % de la fumée, est constituée d’azote et d’oxygène qui sont les composants principaux de l’air (75 % de la fumée totale), mais aussi de gaz carbonique (12 à 15 %) ,de gaz toxiques : monoxyde de carbone ( 3 à 6 %) et cyanure d’hydrogène, de composés organiques volatils : aldéhydes et cétones, et d’ammoniac .

Sur les 4 000, ou 7 000, composés chimiques, plus de 250 sont connus pour être cancérogènes ou toxiques, oxydants ou irritants. .

La fumée de tabac environnementale (FTE), qui est aussi appelée fumée secondaire (secondhand smoke, SHS) ou fumée de tabac ambiante (FTA), représente 85 % de la fumée émise par le tabac qui brûle. C’est l’agent du tabagisme passif. Elle est la somme du courant secondaire et du courant tertiaire qu’il ne faut pas confondre avec la fumée tertiaire (thirdhand smoke, THS), responsable du tabagisme ultra-passif.

La fumée environnementale est responsable du tabagisme passif

Le courant secondaire est plus toxique que le courant primaire, plus concentré en composants chimiques, gazeux et particulaire. La combustion se fait à plus basse température (600 °C vs 900°C pour le courant primaire), elle est donc moins complète et le temps d’exposition pour le fumeur et son entourage est plus long. Cette fumée contient plus de monoxyde de carbone (CO), de nicotine et de nitrosamines, plus de goudrons, plus d’ammoniac et de formaldéhyde.

Le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC ou IARC en anglais, une agence de l’OMS basée à Lyon et consacrée à la recherche et à la prévention du cancer) et le Surgeon General ainsi que l’Agence de protection environnementale des États Unis ont considéré que la fumée du courant secondaire, de même que le tabagisme actif, étaient des cancérogènes certains pour l’homme (groupe 1).

Quelles sont les maladies liées au tabagisme passif ?

Effets du tabagisme passif sur l’appareil respiratoire

L’inhalation de la fumée passive provoque une irritation des voies aériennes supérieures , de la toux, des anomalies de la production et de la qualité du mucus, la diminution des mouvements des cils des fosses nasales et de la trachée dont la fonction est de repousser à l’extérieur les corps étrangers comme les agents microbiens, une hypertrophie et une hyperplasie des glandes de la muqueuse bronchique. Ceci explique le développement de complications infectieuses pulmonaires, sinusiennes et laryngées et chez les enfants une augmentation de la fréquence des otites moyennes et des bronchites.

Développement de cancers

Des non-fumeurs exposés de façon prolongée à la fumée de tabac (20 à 30 ans), par exemple les conjoints de fumeurs, ont un risque de cancer du poumon augmenté de 25 % à 30 %. Pour le cancer du sein, le tabagisme passif serait presque aussi nocif que le tabagisme actif selon les études de L. Dossus et coll. basées sur le suivi de la cohorte européenne EPIC (500 000 personnes suivies depuis 1992 dans 10 pays européens et incluant les femmes françaises de la cohorte E3N). Par rapport aux personnes non-exposées, le tabagisme passif ferait plus que doubler le risque de cancer des sinus de la face et pour les autres cancers, on s’accorde sur le fait que le risque est plus élevé de 20 à 30 %.

Effets du tabagisme passif sur l’appareil cardiovasculaire

La fumée de tabac provoque des dégâts à court et à long terme sur l’appareil cardiovasculaire et le risque de développer une maladie coronaire est augmenté de 30 % chez les personnes soumises au tabagisme passif.

Dans les 30 minutes suivant l’inhalation de la fumée, on observe  des anomalies de  la régulation du flux sanguin presque aussi importantes que celles observées chez le fumeur actif. Le monoxyde de carbone diminue l’oxygénation du myocarde ce qui peut notamment provoquer une crise d’angine de poitrine chez les personnes dont les coronaires sont fragiles.

Une exposition prolongée est responsable d’un syndrome inflammatoire qui explique en grande partie la relation entre tabagisme passif et décès de cause cardiovasculaire selon une étude réalisée au Royaume Uni et publiée en Juin 2010 par M. Hamer, et coll. ( J Am. Coll. Car- diol.). Une exposition importante au tabagisme passif avec syndrome inflammatoire augmente le risque de décès de 20 %.

Le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) est aussi augmenté. Une méta analyse de 20 études portant sur 885 000 participants dont près de 5 900 souffraient d’un attaque cérébrale a estimé que le risque d’AVC était augmenté de 20 % en moyenne, mais seulement de 15 % pour une exposition faible correspondant à la fumée de 5 cigarettes/jour et de 56 % pour une très forte exposition. Les auteurs sou- lignent que l’exposition est dose dépendante mais qu’il n’y a pas de seuil inférieur de non dangerosité. (I.P. Oono et coll., J Public Health, mars 2011)

Troubles métaboliques

La fumée passive est un facteur indépendant de risque de diabète. Une étude chinoise a calculé que le risque de diabète des non-fumeurs soumis au tabagisme passif était augmenté de 20 % par rapport à des non-fumeurs non exposés (K. Sun, Endocrine, nov. 2014) Le tabagisme passif favorise la prise de poids chez la souris par le biais de la perturbation du fonctionnement des mitochondries, organites essentiels dans la production d’énergie nécessaire au fonctionnement de la cellule, et d’une résistance à l’insuline (M.O. Thatcher et coll., Am J of Physiology, nov. 2014).

Chez l’enfant et le bébé à naitre

L’exposition des jeunes enfants à la fumée de tabac peut avoir des conséquences souvent méconnues. Dans les grandes lignes, le tabagisme passif chez l’enfant :

bébé exposé tabac
  • Deux à trois fois plus de risque de mort su- bite du nourrisson, selon les auteurs.
  • Augmentation de 50 % du risque  d’infections basses du tractus respiratoire, que ce soit la grippe, les bronchites ou les pneumonies.
  • Augmentation de 30 % du risque d’asthme ou d’aggravation d’un asthme préexistant.
  • Augmentation du risque d’otite moyenne de 60 %.
  • Augmentation du risque de méningite à méningocoque chez les enfants de moins de 5 ans.
  • Complications respiratoires per ou post-opératoires en chirurgie générale.

Pour en savoir plus

Mortalité chez les personnes soumises au tabagisme passif

En 1999, une publication de l’Académie de Médecine estimait que le nombre annuel de décès attribuables en France au tabagisme passif  était de l’ordre de  2  500 à 3  000. En 2006, le chiffre de 6 000 morts était avancé par le gouvernement au moment de la présentation du décret interdisant de fumer dans les lieux de travail et les lieux recevant du public. Ce chiffre avait été tiré d’une étude de l’European respiratory society (Lifting the Smokescreen, Soulevons le rideau de fumée, 2002) qui avait fait une estimation du nombre de morts causés par l’exposition au tabagisme passif dans 25 pays européens en fonction du lieu d’exposition : travail ou domicile, de l’âge inférieur ou supérieur à 65 ans et de 4 types de maladies : cancer du poumon, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral et bronchite chronique. Ces chiffres concernaient seulement une population adulte, sans discrimination entre toutes les personnes exposées : fumeurs actifs soumis à la double peine d’un tabagisme actif et passif-, non-fumeurs et ex-fumeurs, et l’étude n’évaluait  que 4 risques. En ne tenant compte que des non-fumeurs, le nombre de décès attribuables au tabagisme passif en France tombait à 1 114.

Quel est-il actuellement ? Aucune enquête ne permet de le préciser, mais  Catherine Hill dans un article du BEH (N° 20-21, mai 2011) s’en tient à ce chiffre de 1 100, même si d’un côté il ne tient compte que des 4 maladies du rapport et si de l’autre une tendance à la surestimation s’est manifestée depuis 20 ans. Ce chiffre de 1 100 est repris par Anne Pasquereau dans le N° 15 du BEH 2016.

En Chine, selon l’OMS, sur 360 millions de fumeurs, la cigarette entraîne la mort d’un million de personnes chaque année, et 100 000 décès sont attribuables au tabagisme passif. (Le Monde avec AFP, 26 nov. 2016). Dans le monde, des données de 2010 faisaient état de 600 000 morts par tabagisme passif chaque année, soit un décès sur 100 directement imputable au tabagisme passif, mais en 2017 l’OMS avance le chiffre de 890 000 décès dont 28 % surviendraient chez des enfants, ce qui représenterait environ 250 000 décès d’enfants.


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